« Je n’ai rien dit quand des feux ont ravagé l’Australie.

Je n’ai rien dit quand des familles, des parents, des enfants, se sont retrouvés isolés sur des plages, peinant à se protéger des fumées des incendies.

Je n’ai rien dit quand 480 millions de mammifères, oiseaux et reptiles ont trouvé la mort dans la destruction de 6 millions d’hectares de forêt et de brousse.

Je n’ai rien dit quand les chauves-souris tombaient, grillées et asphyxiées, des arbres.

Je n’ai rien dit quand le koala est devenu une espèce fonctionnellement éteinte, désormais incapable de se remettre naturellement des dégâts qu’elle a subis.

Je n’ai rien dit quand les chutes du lac Victoria se sont retrouvées à sec.

Je n’ai rien dit quand les premiers villages népalais se sont retrouvés inondés par la fonte des glaces dans l’Himalaya.

Je n’ai rien dit quand la Flandre a quitté la COP 25.

Je n’ai rien dit quand les lobbys, les États-Unis, le Brésil et l’Australie ont fait de cette même conférence un échec.

Je n’ai rien dit, car il n’y avait rien à dire que vous ne sachiez déjà…

En 1896, le suédois Svante Arrhenius, prix Nobel de Chimie en 1903, découvrait l’impact du CO2 sur l’effet de serre. Il estimait qu’un doublement du taux de CO2 dans l’atmosphère, lié à l’activité humaine, entrainerait une hausse de température de 5° celsius. Au rythme du début du XXe siècle, il estimait que ce seuil ne serait atteint que 3000 ans plus tard. Il pourrait être atteint d’ici quelques années.

De 1906 à 1960, un tram relie la vallée de la Sûre, et les villages de la commune de Fauvillers, à Martelange et Bastogne. De Bastogne, des trains partent qui permettent de relier n’importe quel coin de la Belgique.

Au début du XXe siècle, notre commune (pas encore fusionnée) compte 2621 habitants, 300 de plus qu’aujourd’hui. À Fauvillers, il y a un hôtel, un cinéma. Chaque jardin produit de quoi subvenir aux besoins d’une famille, grâce à un potager, un poulailler. Pour les produits de première nécessité, on se fournit à la ferme du village, ou chez l’artisan. L’accessoire est acheté de temps en temps aux marchands ambulants. Les chaussures sont achetées et réparées par le cordonnier. Les outils courants se trouvent chez le forgeron. La menuiserie fournit du bois en suffisance. Fauvillers est prospère, accueille un doyenné, une justice de paix.

Puis des choix ont été posés…

Celui d’investir dans la mobilité individuelle, dans les routes, les autoroutes, plutôt que d’entretenir et de moderniser l’extraordinaire réseau de transports en commun dont nous disposions.

Ces mêmes routes et autoroutes que nous n’avons plus les moyens d’entretenir aujourd’hui.

Celui de centraliser les produits et les services dans certains grands centres, en désertant les cœurs de village, parce que faire 20 ou 30 km ne semblait pas la mer à boire.

Celui de privilégier les solutions individuelles et formatées.

Il n’y a plus de cinéma à Fauvillers, mais chacun a une – ou deux – télévision(s) chez soi. Les potagers se font rares. On achète au centre commercial de la nourriture qui vient parfois d’un autre continent.

Nos chaussures et nos vêtements sont fabriquées en Asie dans des camps de travail, ou dans des usines qui n’ont rien à envier à ces camps. Les vêtements sont prévus pour ne durer qu’un temps. Nos appareils électroniques sont programmés pour ralentir à chaque mise à jour. Nos imprimantes pour ne pas user toutes leurs cartouches. Même nos ampoules n’ont pas le droit de durer autant qu’elles le pourraient.

Aujourd’hui, nous essayons de recréer des circuits courts, nous réapprenons à consommer local, à réparer, à faire durer. Mais nous avons un siècle à déconstruire, un siècle de progrès mal pensé, mal organisé.

Ou plutôt si, bien organisé… pour certains. Aujourd’hui, 26 milliardaires possèdent autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la planète.

Je ne m’inquiète pas pour eux, si les choses tournent mal, ils font certainement partie des personnes qui possèdent un des bunkers sécurisés de la société Vivos.

Je ne prierai pas pour l’Australie, car ce n’est pas à Dieu d’intervenir, mais à l’homme.

Nous pouvons agir collectivement. Nous pouvons refuser le consumérisme, la société de consommation, la publicité qui nous propose toujours plus, un bonheur toujours plus inatteignable. Nous pouvons refuser l’obsolescence programmée. Nous pouvons exiger un redéploiement efficace des transports en commun.

Nous pouvons revenir au sens du collectif, du local, de l’essentiel. Consommer moins, mais vivre mieux.

Nous pouvons réapprendre à trouver près de nous ce dont nous avons besoin.

La technologie que nous avons développée nous permet de vivre ici en étant ouvert sur le monde.

OU nous pouvons continuer à ne rien changer, en attendant les prochains incendies, la prochaine sécheresse, la prochaine espèce à disparaitre.

C’est à nous de choisir l’avenir que nous voulons.

Voilà pourquoi je n’ai rien dit. »

 

Nicolas Stilmant, bourgmestre de Fauvillers.